Le retour

Publié le par cytiagaven

 

Ils se sont croisés dans la rue. Plus de deux ans sans nouvelles, habitants à plusieurs centaines de kilomètres l'un de l'autre ils se sont quand même croisés. Elle croisa son regard avant de se perdre dans la foule. Il y avait quelque chose de familier dans l'homme qu'elle venait de dépasser, mais elle ne parvenait pas à à déterminer d'où elle aurait pu le rencontrer. Cette pensée la tracassa pendant plusieurs minutes avant qu'elle ne reçoive un appel de son homme. Elle décrocha et oublia.

 

Elle n'avait pas vraiment changé, si ce n'est qu'elle paraissait plus lumineuse malgré ses sourcils froncés, comme si une partie de ses soucis s'était effacée. Il l'avait tout de suite reconnue. Cela faisait presque trois ans qu'elle hantait ses pensées, tourmentait ses rêves. Il avait essayé de l'oublier mais n'avait pu s'empêcher de venir faire un tour près de chez elle. Au départ, il venait juste rendre visite à l'un de ses vieux copains, mais la tentation avait été trop grande. Il voulait la revoir. Aussi, quand il la croisa trois jours après son arrivée, il ne réfléchit pas et fit demi-tour pour la suivre. Elle l'obsédait et il était temps qu'il revienne dans sa vie.

 

Comme les rues étaient bondées au centre ville, il put la suivre de près sans se faire remarquer. Il saisit des bribes de sa conversation au téléphone. Ses dents grincèrent lorsqu'il compris qu'elle parlait à son petit copain. Elle l'avait vite remplacé, cette sorcière. Il inspira un grand coup pour se maîtriser et la familière odeur de vanille emplit ses narines. Il se retint de ne pas tendre le bras pour effleurer ses boucles folles. Elle semblait si vulnérable ainsi, seule au milieu de tous. À sa portée. Mais il la savait redoutable. Du moins l'était-elle lorsqu'il l'avait connue. Et sauvage. Aujourd'hui cependant, la bête semblait domptée. Dommage, il n'aimait pas quand la partie était trop facile. Perdu dans ses pensées, il faillit la percuter alors qu'elle s'arrêtait au milieu du passage pour chercher quelque chose dans son sac. Elle sentit son regard sur elle, leva la tête vers lui et le dévisagea. Jusqu'à ce qu'il la dépasseen feignant de l'ignorer pour ne pas briser sa couverture. Il sentit son regard dans son dos et ne pu s'empêcher d'esquisser un sourire. Elle ne pouvait pas le reconnaître. Non seulement il avait trop changé, mais surtout il avait apprit que le sort d'oubli qu'elle destinait à sa mère quelques deux années plus tôt, avait en quelques sortes ricoché sur elle. Elle ne pouvait plus se souvenir de lui. Du moins c'est ce qu'il avait cru comprendre. Elle avait dû faire exprès pour ne pas avoir à le seconder, cette sorcière. Il savait au fond de lui que ce n'était pas vrai, mais il se donnait cette raison pour prendre sa revanche sur elle. Il s'arrêta devant un distributeur automatique et fit mine de retirer de l'argent en attendant qu'elle reparte.

 

Une fois qu'elle eut retrouvé son casque, elle le démêla puis le brancha sur son portable. Elle aimait bien se couvrir les oreilles lorsqu'elle était nerveuse. Elle sentait qu'il se passait quelque chose mais n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Cela faisait un petit moment qu'elle avait l'impression d'être surveillée et elle n'aimait pas ça. Elle avait envie de partir en courant, de sortir de cette foule étouffante, mais elle se retint. C'était un bon exercice pour son agoraphobie que de marcher en pleine rue à l'heure de pointe. Mais aujourd'hui, l'exercice allait tourner court. Elle se dirigea vers l'arrêt de bus qui l'amènerait chez sa mère et attendit. Avisant l'homme qui s'était arrêté non loin d'elle, elle le détailla furtivement. Il avait vraiment quelque chose de familier. Peut-être était-ce tout simplement l'un de ses voisins puisqu'il avait l'air d'attendre le même bus qu'elle. Ça devait être ça. Elle se méfiait de sa mémoire défaillante en ce qui concerne les visages. Ça lui était déjà arrivé de prendre une personne pour une autre, ce qui l'avait conduit une fois à faire la bise à sa voisine du dessus en pensant que c'était une amie de sa mère. Une petite voix lui disait toutefois qu'elle se trompait. Une aura de danger semblait s'accrocher à l'inconnu. Peut-être était-ce dû à sa grande taille. Il surplombait tout le monde d'une bonne vingtaine de centimètres. Pour l'heure, il avait les yeux rivés sur son téléphone portable, mais il dû sentir qu'elle le scrutait car il redressa la tête et la fixa de son regard sombre. Gênée, elle détourna les yeux. À son grand désarrois, elle se sentit rougir et ça la rendit furieuse. Elle n'aimait pas quand ses émotions la prenaient en défaut. Heureusement, le bus arriva au même instant. Elle fit la queue à l'avant tandis que l'homme montait à l'arrière. Quand elle avisa le monde à l'intérieur, elle se dit que c'était plus qu'elle ne pouvait supporter et décida finalement de rentrer à pieds. Le bus démarra et elle se retrouva seule.

 

Il la perdit de vue juste une seconde. Ce fut suffisant pour qu'elle disparaisse. S'était-elle assise et c'est pour cela qu'il ne la voyait pas ? Il entreprit de remonter le bus en se frayant un chemin entre les passagers. Il n'aperçut la gerbe de cheveux bouclés qu'une fois que le bus eut redémarré. Elle n'était pas rentrée. Il pesta ; comment avait-il pu la laisser filer ainsi ?L'avait-elle reconnu ? Impossible. Il enfonça rageusement le bouton pour signaler qu'il descendait au prochain arrêt. Pourvu que ce ne soit pas trop loin. À première vue elle remontait la rue. S'il avait de la chance elle remonterait jusqu'à lui. Et ensuite ? Il allait sans doute la suivre, mais pour quoi faire ? Un rictus s'étendit sur ses lèvres en réfléchissant aux différentes possibilités.

 

Une fois sortie du centre-ville, les passants se firent plus rares, et elle pu enfin se détendre. Son impression d'oppression était partie. Elle envoya du son dans son casque et parti d'un pas décidé vers l'appartement maternel. Au bout d'un quart d'heure de marche, elle aperçut le gars du centre, assis sur un banc à attendre un bus. Décidément, elle ne croisait que lui aujourd'hui. Ayant toujours cette impression bizarre lorsqu'elle le voyait, elle décida de prendre une rue en parallèle. Elle connaissait la moindre ruelle aussi n'avait-elle pas peur de se perdre. Rêvassant, elle ne vit pas l'homme qui tourna au coin de la rue et la percuta. Elle marmonna une excuse avant de se remettre en route, mais le gars, pas très grand mais avec de gros biceps, lui attrapa le bras et la dévisagea.

« - Tu pourrais t'excuser, ma jolie.

- Je l'ai déjà fait.

- Il y a de meilleures façons de s'excuser. » Calmement, elle se dégagea.

«  - Dégage. » Le gars fronça les sourcils, hésita puis finalement poursuivit sa route. Non mais pour qui il se prenait celui-là ?

 

Il avait pris garde à la suivre de loin et n'avait pas perdu une miette de la scène. Le gars qui l'avait interceptée ressemblait à ces gros durs à cuire que l'on voit dans les mauvais films. Ses intentions étaient clairs, et peu de gens devaient se frotter à lui. Il s'était toutefois ratatiné devant le regard dur de sa sorcière. Il en ressentit une pointe d'orgueil. Elle n'avait pas tant changé que ça. Ce regard, qu'il aimait tant lui donnait envie de la provoquer. Mais là n'était pas le moment. Il allait prendre son temps. Quand le gars arriva à sa hauteur, il prit garde à ce qu'elle ne soit plus en vue, attrapa le malheureux et le plaqua contre le mur, une main sur sa gorge, bloquant ses cordes vocales. Avant que l'homme ait pu réagir, il avait sorti un fin couteau qui ne quittait jamais sa manche gauche et tranché la carotide. Le tueur se recula d'un geste souple et travaillé au fil des ans. Il évita le geyser pourpre et resta quelques instants hypnotisé par son œuvre. Il dû faire un effort pour ne pas plonger ses mains dans le liquide chaud et finit par tourner les talons. Il ne fallait pas qu'il perde sa véritable proie une nouvelle fois.

 

Juste avant d'entrer dans l'immeuble, un frisson la fit se retourner. Personne. Elle aurait pourtant juré qu'il y avait quelqu'un derrière elle. Elle regarda aux alentours sans voir âme qui vive puis s'engagea dans le couloir. Elle prit les escaliers et dû se calmer pour faire entrer ses clés dans la serrure. Elle était fébrile et ne savait même pas pourquoi. La fatigue peut-être. Elle referma la porte derrière elle. L'appartement était vide, comme souvent. Elle faisait le maximum pour passer le plus de temps possible avec sa famille avant qu'elle n'emménage avec son copain, mais sa mère sortait tout le temps avec ses amis, ou alors était à un cours de chant. Quant à sa sœur, elle dormait chez sa copine, et son frère personne ne savait jamais où il était, ce qu'il faisait bref, un électron libre. Elle posa ses clés sur le bar de l'entrée et sursauta lorsque l'interphone hurla dans ses oreilles. Le cœur battant, elle dû prendre une grande inspiration avant de répondre.

« - Oui ? » Silence. Elle raccrocha et il sonna une nouvelle fois. Toujours pas de réponse à l'autre bout. Peut-être qu'il s'était encore bloqué. Avec un soupir de résignation, elle resortit et prit l'ascenseur pour voir qui était là.

 

Personne. Avec un haussement d'épaules, elle ouvrit la porte et s'engagea dans la cage d'escalier. Comme d'habitude, elle n'alluma pas la lumière. Elle était à fond dans l'écologie et n'aimait pas gaspiller de l'énergie alors qu'elle n'avait que quatre étages à monter. Elle commença à monter en comptant machinalement les marches. Elle en était à la seixième lorsqu'elle eut la sensation d'être suivie. Elle s'arrêta, ferma les yeux et inspira profondément. Son imagination la prenait toujours à défaut lorsqu'elle se trouvait dans la pénombre. La moindre ombre prenait des allures de monstres sanguinaires. Le noir était sa faiblesse. Elle levait le pied lorsqu'elle entendit un léger bruit. Cela suffit à la faire tressaillir. Elle compta mentalement jusqu'à trois et franchit les trois étages restants au pas de courses. Elle imaginait le souffle court et rauque de son ou ses poursuivants sur ses talons et elle rejoignit son pallier de porte en quelques secondes. Alors elle s'arrêta, posa sa tête contre la porte et eut un rire nerveux. Il fallait vraiment qu'elle arrête de se faire des frayeurs de ce genre sinon elle finirait à l'asile.

 

Il était entré à la suite d'un habitant de l'immeuble et en avait profité pour se dissimuler dans l'ombre des escaliers. Il l'avait reconnue à son pas léger. Il l'a suivie sur quelques marches puis cru qu'elle l'avait repéré lorsqu'elle s'arrêta net. Il retint son souffle jusqu'à ce que, sans raison, elle se mette à remonter les marches comme si elle avait le diable sur ses talons. Il ne la suivit pas, cherchant à comprendre la raison de son agitation soudaine. Il remonta lentement les marches et, au palier suivant, alluma la lumière. Un éclat de lumière attira son regard. Un collier gisait trois marches plus haut. Il le reconnut pour avoir vu la sorcière tirer dessus lorsqu'elle était plongée dans ses pensées. Il prit la chaîne entre ses mains et observa le bijou. Un gage d'amour par son chéri comprit-il aussitôt en voyant la phrase gravée dessus. c'était un signe si elle l'avait perdu. Il le mit dans sa poche et fit demi-tour. Alors qu'il sortait de l'immeuble, il tomba nez-à-nez avec la mère de la sorcière. Il eut un mouvement de recul, puis la rage apparut. Il envisagea de la suivre pour apaiser ses pulsions, mais lorsqu'il vit qu'elle était accompagnée, il se résolut à attendre son heure. Maintenant qu'il savait où elle vivait, tout n'était qu'une question de patience. Il ne put toutefois s'empêcher de jeter un regard meurtrier à l'encontre de cette femme qui avait joué un rôle décisif dans leur séparation. Celle-ci évidement ne le reconnut pas. C'est à peine si elle lui dit bonjour, occupée à discuter avec les personnes qui l'accompagnaient. Il resta adossé quelques minutes à la porte d'entrée, souriant à l'idée de ce qu'il allait faire. Si sa sorcière l'avait oublié, ce n'était en revanche pas son cas. Il allait pouvoir en tirer parti.

 

Il passa la soirée et la journée suivante à se calmer à l'autre bout de la ville. Il ne devait pas céder à la précipitation, car ce qu'il prévoyait pour Elle, c'était de prendre son temps. Pour faire durer le plaisir.Un homme en fit les frais pour avoir voulu racquetter des jeunes dans le bus. Il attendit que l'homme soit dans une ruelle déserte pour s'en prendre à lui. Il prit un peu plus son temps, sans effusion de sang, pour regarder la vie s'envoler au travers des yeux écarquillés par la terreur pendant qu'il l'étranglait. Le lendemain, très tôt, à deux rues de chez sa sorcière, il fit irruption au milieu d'un groupe de cinq dealeurs. L'un d'eux tenta de prendre la fuite. Il le terrassa d'un coup à la pomme d'adam. L'homme s'effondra, inconscient. Peut-être mort, mais ce n'est pas comme s'il s'en souciait. Maintenant qu'il avait l'attention des quatre autres, il leur exposa ce qu'il attendait d'eux, en les menaçant de ce qu'il leur ferait s'ils désobéissaient. Ses nouvelles recrues le fixaient avec crainte, et il n'avait aucun doute sur le fait qu'ils suivraient ses ordres. Ainsi, une heure plus tard, lorsque la mère de la sorcière sortit, il en envoya trois à sa suite, chargeant celui qui restait de surveiller sa cible principale. Puis il partit à la suite du gros de sa bande.

 

Pour une fois qu'elle regardait les infos, elle n'était pas déçue. Il semblait qu'un tueur avait fait son apparition en ville. Elle n'y avait pas vraiment cru lorsqu'elle l'avait entendu à la radio, mais ça devenait flagrant à la télé. Peut-être la tenait-elle enfin sa chance, de faire quelque chose d'exceptionnel, à savoir attrapper le coupable. D'après les quelques informations dont disposaient les médias, ils avaient déjà retrouvé trois morts en trois jours. Toutefois, le fait que le mode opératoire n'était jamais le même, et que apparemment il n'y avait pas de lien entre les victimes, ne ressemblait pas à l'action d'un tueur en série. Elle avait essayé de dissuader sa mère de sortir ce soir, ou au moins de la laisser l'accompagner, mais la génitrice avait catégoriquement refusé, et elle n'avait pas insisté. Elle jeta un oeil distrait vers ses saï, se demandant si elle devrait partir en vadrouille avec, puis secoua la tête. Si elle se faisait contrôler, ils allaient sûrement l'embarquer au poste. Elle devrait plutôt sortir désarmée, comme ça elle ressemblerait à une proie facile. Ce qu'elle était sûre de ne pas être. Certes, la nuit ses pouvoirs avaient tendance à lui faire défaut depuis son amnésie, mais il lui restait sa connaissance des arts martiaux, qu'elle avait pratiqué les trois quart de sa vie. Elle prit son portable dans sa poche, ses clés, puis partit faire un tour. Au bout de seulement dix minutes de marche, elle se sentit suivie. Déjà ? Elle s'engagea dans une petite ruelle sombre, se doutant que l'individu allait la suivre. S'aidant de l'ombre pour la dissimuler, elle put contourner l'agresseur et se glisser dans son dos. Alors qu'elle n'était plus qu'à deux mètres de lui, son portable se mit à sonner, trahissant sa présence. L'homme pivota en frappant par réflexe. Et il frappa en pleine tête.

 

Quand ils se furent éloignés de quelques rues, deux des trois hommes contournèrent la voie où marchait la mère pour arriver face à elle, tandis que le troisième restait pas trop loin derrière. Puis ils lancèrent l'assaut. Ils lui saisirent chacun un bras lorsqu'ils arrivèrent à son niveau et la traînèrent dans une ruelle adjacente. Elle se défendit mieux que ce qu'il pensait, mais ce n'était pas suffisant. Les hommes étaient trop nombreux pour elle, et leur peur de leur nouveau chef les rendait plus violents. Il attendit que la tête de la femme heurte durement le mur pour intervenir. Il mit rapidemment les hommes hors-jeu, comme c'était prévu, puis ils prirent la fuite.Il aida la mère à se relever, se retenant à grand peine de ne pas serrer ses mains autour de son cou en attendant que la mort l'emporte. Mais ce serait une mort trop douce. Il trouva un peu de consolation dans sa lèvre fendue, ses vêtements déchirés et le sang sur sa tempe. Après qu'elle l'eut maintes fois remercié, il appella une ambulance et offrit de lui contacter un proche. Elle lui donna le numéro de sa fille ainsi qu'il l'escomptait. Toutefois il tomba sur sa messagerie vocale. Il reéssairait plus tard, le plus important étant d'avoir récupéré son numéro. Une fois l'ambulance arrivée, il s'empressa de disparaître, ne voulant pas perdre de temps à faire une déposition aux flics.

 

La sorcière trébucha sous le coup qui lui fit voir des étoiles. L'homme écarquilla les yeux quand il réalisa ce qu'il avait fait. Le tueur avait pourtant été clair : personne ne devait la toucher. Il avait quelque chose à régler avec cette fille, c'est pourquoi, avant qu'elle ne reprenne ses esprits, il en profita pour disparaître. À l'évidence il n'était pas fait pour filer quelqu'un. Il l'observa une fois caché et à bonne distance. Elle se redressa, pestant à voix haute contre sa maladresse et son incapacité à avoir pu riposter. Et contre son téléphone aussi, qu'elle sortit rageusement de sa poche. Un numéro qu'elle ne connaissait pas. Elle haussa les épaules avant de ranger l'appareil.

 

 

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