Les Enfanats Chapitre 1

CHAPITRE 1 : Loumie

 

 

Allongée sur son lit, les bras croisés sous sa tête, Loumie attendait avec impatience que le soleil se lève. Habituellement, elle serait en train de dormir depuis longtemps, d'autant plus qu'on était dimanche, mais pour la première fois de sa vie, un garçon, celui sur lequel elle avait flashé depuis son arrivée dans ce lycée, l'avait invitée à sortir avec lui. Non seulement il était mignon, mais en plus il était gentil, si gentil qu'elle avait enfin compris que quelqu'un faisait attention à elle. Quand leurs regards se croisaient, Loumie ressentait une chaleur mêlée de frissons lui parcourir le corps. Elle avait enfin trouvé quelqu'un qui la remarquait! Elle n'était finalement pas si insignifiante que cela...

                Une lueur commença à s'étirer sur l'horizon : le soleil n'allait plus tarder! Discrètement, pour ne pas réveiller sa famille d'accueil, elle se dirigea vers la salle de bain, prit une rapide douche, passa son jean préféré et son tee-shirt indien porte-bonheur, mit ses baskets, se faufila dans l'entrée et arrangea les mèches folles de sa chevelure châtain en les nouant en une rapide queue-de-cheval. Elle regarda le reflet que lui renvoya le miroir de l'entrée et esquissa un sourire devant le petit message que lui avait laissé sa tutrice, Isabelle, lui demandant de rentrer avant la nuit si possible. Elle examina une dernière fois la personne qu'elle voyait devant elle : ses longs cheveux bruns, même noués, lui parvenaient en bas du dos, ses yeux clairs en amande lui rendaient un regard mélancolique et ses vêtements dissimulaient des jambes qu'elle jugeait trop épaisses. Sa peau légèrement mate, pas assez à son goût, lui donnait l'air d'une indienne, et cela se renforçait par le fait qu'elle portait souvent des plumes ou autres parures du même genre.

                Craignant d'être en retard, elle se rua dans la rue baignée des premiers rayons de soleil, faisant scintiller la rosée matinale, puis s'élança à un rythme régulier en direction du centre-ville de la ville voisine. Elle avait une heure pour être à l'heure, c'est pourquoi elle ne fit pas de détour pour prendre le bus mais décida d'y aller à pieds. Sur le chemin, elle se remémora tous ses malheurs. Depuis qu'on l'avait retrouvée, toute petite, abandonnée à un arrêt de bus, elle peinait souvent à ce qu'aurait pu être sa vie si elle vivait avec ses vrais parents. Elle n'avait aucun souvenir d'eux. Tout ce qu'on savait d'elle, son prénom ainsi que sa date de naissance, étaient inscrit sur la gourmette qu'elle portait alors au poignet gauche. Jusqu'à là, personne ne savait d'où elle venait, et elle avait été placée en famille d'accueil.

                Malheureusement, le couple qui l'avait accueillie avait, après tant d'années d'espérance, réussi à avoir un enfant, et n'étant pas assez riches pour garder Loumie avec l'arrivée du bébé miraculeux, et elle fut placée pour la première fois en orphelinat. Elle avait alors 7 ans. Puis on lui trouva une nouvelle famille d'accueil, composée cette fois d'un couple et de ses deux enfants, une fille de 10 ans et un fils de 8 ans. Ceux-ci ne parvenaient pas à l'accepter, devant partager l'amour de leurs parents avec une nouvelle qui n'avait rien de commun avec eux. Malgré les efforts de la jeune fille, ils s'opposaient constamment à elle, et à l'école, les élèves s'étaient ligués contre elle et, plusieurs fois, elle dut se sauver pour ne pas être battue par tous ces petits monstres. Hélas, attirant par-là des ennuis à ses parents adoptifs, ceux-ci durent se rendre à l'évidence, qu'elle ne serait jamais la bienvenue, et la renvoyèrent à regret à l'orphelinat, à la grande joie de tous les petits écoliers.

                Pendant deux ans, elle y resta, allant à l'école, jusqu'à ce qu'une famille se prenne d'affection pour elle. Elle fît donc sa rentrée au collège chez ce monsieur et cette dame assez âgés. Elle y vécut 4 ans de joies, de bonheur et de quelques problèmes. Plusieurs collégiens lui jouaient de mauvais tours en lui volant ses affaires, en brûlant certains de ses cahiers, et une dizaine d'adolescentes, jalouses de cette fille au passé et aux futurs incertains avec qui les professeurs sympathisaient inévitablement. Malgré cela, ce qui énervait le plus ces collégiennes était la beauté qu'avait Loumie. Celle-ci ne disait rien de ce qu'on lui faisait subir, car elle ne voulait surtout pas que le vieux couple ne s'inquiète pour elle, ou pire, ne la renvoie en orphelinat. Mais un jour, ce qui devait arriver arriva. Un groupe de collégiens la suivi alors qu'elle rentrait et, profitant d'un moment où personne ne passait, ils la coincèrent dans une petite rue. Ils la frappèrent en lui disant de retourner à l'orphelinat, la maison des enfants dont personne ne voulait : "T'es personne!!Casses-toi!"

                Elle rentra chez elle, toute meurtrie. Ses deux tuteurs étant absent, elle leur laissa un mot d'excuse, rassembla ses affaires et partit. On la retrouva cinq jours plus tard, dans la rue de l'orphelinat. Elle y apprit alors que le vieux couple était mort dans un accident de voiture, un peu avant sa disparition. Elle parlait peu et s'enfermait parfois dans un effrayant mutisme. Malgré cela, elle obtint une mention au brevet, lui permettant d'avoir droit à une bourse, et de pouvoir alors poursuivre ses études. Elle resta une fois encore deux ans au bâtiment monotonement gris et silencieux qui devenait peu à peu son seul vrai foyer. Elle en ressortit toutefois pour être placée dans une famille, composée d'un homme et d'un homme, aux caractères initialement insondables. Mais peu après qu'elle soit entrée au lycée, l'homme commença à la violenter, prenant pour prétexte le fait qu'elle ne lui attirait que des ennuis, et sa femme restait dans un coin à les observer, n'osant intervenir par peur de s'attirer la colère de son mari. Elle avait beau lui dire qu'elle ne cherchait pas la bagarre avec les autres lycéens, que c'étaient eux qui la malmenaient, et cela durait depuis qu'elle avait été scolarisée à ses 7 ans.

                Un jour, sa voix disparu complètement, et les violences qu'elle avait subis et qu'elle continuait de subir, la faisaient se tenir à l'écart des autres. Du jour au lendemain, elle fût renvoyée une énième fois à l'orphelinat, se demandant toujours pourquoi cet étrange couple l'avait momentanément "adoptée".

                Une nouvelle famille d'accueil s'attacha au triste regard de l'adolescente et l'emmena à l'autre bout du pays, pour tenter de la rendre heureuse. Mais malgré toute l'affection que ce couple trentenaire lui apportait, elle ne pouvait oublier son lourd passé. Toutefois, les élèves qui l'entouraient ne lui étaient pas hostiles : au contraire, ils sympathisaient avec la menue silhouette muette qu'elle était devenue depuis près de deux ans. Et aujourd'hui, la petite chose insignifiante qu'elle était commençait enfin à être entourée de l'affection et de l'amitié qu'elle avait toujours souhaité, mais qui jusqu'à là ne lui avait jamais été accordé. Elle recommençait à reparler quelques fois, mais rarement, préférant écouter les autres pour ne pas faire de faux-pas pouvant lui attirer des ennuis.

 

                Elle fût tirée de ses pensées par un retentissant coup de klaxon. Elle se retourna. Une voiture fonçait droit sur elle, les freins crissant. Elle n'eut que le temps de faire un pas sur le côté et sentit l'aile droite du véhicule lui heurter violemment  les côtes. Pendant qu'elle perdait l'équilibre et tombait à genou sur la route, le souffle coupé, elle vit la Mercedes piler et disparaître au virage. Les larmes aux yeux sous l'effet de la douleur, elle ne vit pas les gens qui accouraient vers elle et tentaient de la convaincre d'aller aux urgences. Mais elle ne voulait pas rater son rendez-vous, qui serait peut-être le seul auquel elle aurait le droit dans sa misérable existence. Après s'être légèrement débattue, et avoir affirmer à plusieurs reprises qu'elle se sentait bien, même si ce n'était pas vraiment le cas, elle parvint à s'échapper de l'étreinte de ces gens bien intentionnés. Elle se lança de nouveau dans la même direction que la voiture.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :